Dans l’article suivant, j’aimerais d’abord exposer quelques aspects me semblant importants concernant l’évolution de la santé sociale de nos patient-e-s en faisant le lien avec des changements sociétaux. En partant des éléments évoqués, j’expliquerai la nécessité d’une approche bio-psycho-sociale pour le traitement des addictions et la particularité d’une consultation sociale intégrée à la Fondation. Enfin, je mettrai en évidence son importance pour une prise en charge efficace, durable et respectant le-la patient-e dans sa globalité.

 

L’évolution de la santé sociale de nos patient-e-s

 Nos patient-e-s ont toujours présenté des situations médicales, psychologiques et sociales particulièrement complexes – cela est une caractéristique typique de l’addiction, faisant partie de sa multidimensionalité. Mais ces dernières années, je constate dans ma pratique que la santé sociale de nos patients-e-s s’est détériorée : leurs problèmes sociaux se sont multipliés et entrelacés davantage. Souvent, plusieurs « grands domaines » de l’accès aux ressources et de l’intégration sociale sont touchés simultanément : logement, travail et formation, budget et dettes, gestion administrative et contact avec les autorités, sécurité et assurances sociales, accès aux soins et maintien de la santé, vie de famille et réseau relationnel, loisirs et activités associatives, etc. Regardons de plus près ces évolutions qui, à mon avis, risquent de se poursuivre dans les années qui viennent.

 

  • Marché du travail et de la formation

Dans une société qui prône l’excellence et la performance, les exigences du marché de travail pour trouver un emploi et garder son poste sont devenues très élevées. Ainsi, les « petites niches », qui offraient des places adaptées à des personnes atteintes dans leur santé, disparaissent. Avec la numérisation, se produit également une perte des emplois, et surtout des postes demandant peu de qualifications. Nos patient-e-s, dont beaucoup ne disposent pas ou peu de formation, se retrouvent davantage exclu-e-s.

Les conditions pour accéder à la formation professionnelle, ainsi qu’arriver jusqu’au certificat ou diplôme, se sont également durcies. Les négociations pour une réintégration en cas de rupture sont moins aisées. Quant aux réadaptations professionnelles, il faut que la situation soit telle qu’elle puisse garantir une certaine réussite – garantie difficile à assurer compte tenu de l’instabilité de beaucoup de nos patient-e-s.

 

  • Logement

Ces dernières années, la crise du logement, qui existe de longue date à Genève, a pris des dimensions décourageantes. A l’Office du logement, la liste d’attente va jusqu’à plusieurs années et l’accès aux appartements en passant par une régie privée devient quasiment impossible pour les patient-e-s qui ont des revenus bas et/ou qui sont surendetté-e-s. D’ailleurs, une perte du logement arrive plus fréquemment, principalement suite à des retards de paiements.

J’observe également qu’il y a de plus en plus de patient-e-s qui vivent dans des conditions de logement inadaptées : solutions temporaires, sous-locations, appartements sur-occupés, patient-e-s adultes vivant chez leurs parents, appartements mal entretenus et insalubres, etc.

 

  • Sécurité sociale

L’obtention des droits aux prestations des assurances sociales et l’accès à l’aide sociale individuelle sont devenus restrictifs. D’une part, les exigences administratives sont plus élevées et les procédures de demandes plus complexes. D’autre part, il y a une diminution des prestations de la sécurité sociale suite aux réformes et aux restrictions budgétaires des dernières années.

 

  • Complexité des affaires administratives et financières

Les obligations administratives, et surtout la complexité pour comprendre et traiter les échanges par courrier et par e-mail, ont augmenté. On constate en effet une spécialisation croissante des offices de l’administration, entraînant des exigences différentes pour chaque démarche, qu’il faut connaître et maîtriser. Une barrière supplémentaire s’ajoute par le fait qu’une grande partie des démarches passent désormais par les sites internet des services et que certains de nos patients « ne sont pas connecté-e-s ».

 

  • Moyens financiers et surendettement

La majorité de nos patient-e-s ne dispose que de revenus modestes. Cela est dû à des facteurs multiples, surtout structurels, avec une inégalité des chances souvent présente dès le départ : une enfance dans des conditions défavorisées, un parcours semé d’embûches et, par la suite, un manque de possibilités de s’insérer sur le marché de la formation et du travail. En outre, la consommation et les comportements addictifs ont un impact négatif sur la situation financière, ne serait-ce que par les dépenses élevées qui en découlent. Ces problèmes financiers et de gestion mènent souvent à un surendettement et une fois pris dans l’engrenage, s’en sortir se révèle très difficile.

 

  • Santé et accès aux soins

J’ai constaté plus de barrières pour nos patient-e-s à accéder à des prestations de santé et de soins corporelles. Les personnes ayant des problèmes d’addiction sont stigmatisées et il y a une tendance à les renvoyer vers d’autres services. Les difficultés à gagner leur confiance ainsi que leur train de vie instable et des rendez-vous parfois manqués compliquent une bonne adhésion aux soins et un suivi médical régulier. Cela peut, également pour des raisons de rentabilité qui prennent de plus en plus d’importance, mener à un rejet.

 

Changements socio-structurels et sociétaux

En résumé, beaucoup de démarches, notamment au niveau administratif, financier et socio-juridique, qui étaient relativement simples à traiter il y a encore quelques années, ainsi que l’accès aux différentes aides et aux structures médico-sociales, demandent des compétences de plus en plus spécifiques et pointues. Cela est particulièrement problématique pour nos patients pour lesquel-le-s la formation scolaire et l’acquisition d’une culture générale se sont souvent arrêtées de manière précoce. Beaucoup vivent également des périodes longues et/ou répétées de consommation avec une perte de savoir-faire par rapport à la gestion des affaires de la vie quotidienne. Ils-elles sont donc particulièrement démuni-e-s pour faire face à ces exigences.

La solitude, dont souffre la majorité de nos patient-e-s, ajoute des barrières supplémentaires. Le manque d’intégration et d’accès aux ressources, tout comme leurs problèmes de santé psychiatriques et somatiques et le quotidien qui tourne autour de la consommation, entraînent une pauvreté relationnelle et vice versa. C’est une triste réalité de constater que beaucoup de nos patient-e-s n’ont souvent (plus) personne de confiance à part nous.

Les raisons principales tiennent, à mon avis, à des changements socio-structurels et économiques. La société et notre vie sociale sont soumises à des changements permanents. Ces dernières années, elles se sont accélérées avec la numérisation de la société et la mondialisation et ont mené à une gestion de la vie quotidienne plus compliquée.

D’un point de vue socio-économique, la situation est devenue plus instable, avec des moyens publics diminués et un écart qui continue à se creuser : le risque de pauvreté a augmenté pour une partie importante de la population alors que, à l’opposé, une petite partie devient de plus en plus riche. Le glissement vers le bas de l’échelle sociale arrive plus rapidement et de manière plus brutale en cas de difficultés socio-économiques et relationnelles. La remontée est d’autant plus difficile et incertaine. Par conséquent, la classe moyenne doit faire face à une insécurité grandissante.

Avec une tendance accrue à l’individualisation, en tout cas dans nos cultures occidentales, la liberté individuelle n’a jamais été aussi grande qu’aujourd’hui. Mais cela entraîne aussi des exigences croissantes pour l’individu, les responsabilités qu’il est censé assumer ayant considérablement augmenté. Par ailleurs, cette liberté s’accompagne d’une perte de structures et de repères socio-culturels qui augmente également le sentiment d’insécurité.

Les personnes les plus fragiles, dont font partie la majorité de nos patient-e-s, sont particulièrement concernées par les conséquences négatives de ces changements et par la polarisation socio-économique. Elles ont plus de peine à s’adapter et à faire face aux difficultés. Il y a également une tendance à assimiler le « manque de performance » et les « échecs » à des facteurs plus personnels que structurels. La gestion de sa santé, dont fait partie la gestion de la consommation et les conduites addictives, ne fait pas exception.

Les services sociaux comme notre consultation sociale sont donc très sollicités et ont pris une place importante pour bien soigner nos patient-e-s.

 

La nécessite et l’importance d’une consultation sociale intégrée à la Fondation

Comme mentionné au début, pour faire face aux situations médicales, psychologiques et sociales particulièrement complexes de nos patient-e-s, l’approche bio-psycho-sociale a fait ses preuves. L’addiction, par sa dimension multifactorielle, associe troubles biologiques et psychiques ainsi que des problèmes sociaux. Sa prise en charge doit donc prendre en compte toutes ces composantes.

Il est vrai que beaucoup de nos patients bénéficient d’un réseau d’accompagnement social à l’extérieur (HG, SPAd, services sociaux privés, associations, assurances sociales, structures pour la réinsertion socio-professionnelle, etc.). Nous collaborons volontiers avec tou-te-s nos partenaires. Ils-elles sont important-e-s pour nous et indispensables pour être en mesure de soutenir nos patient-e-s de manière optimale. L’approche bio-psycho-sociale se pratique donc aussi dans la collaboration précieuse avec nos services partenaires. Mais cela ne peut remplacer les prestations et l’efficacité d’une consultation sociale intégrée à la Fondation.

La mission globale de notre consultation sociale est l’amélioration de l’accès aux ressources au niveau personnel, relationnel, socio-économique et structurel pour nos patient-e-s, leur réintégration dans la société et l’augmentation de leur qualité de vie. Pour répondre à cette mission globale, elle remplit également certaines fonctions spécifiques en lien avec les problématiques dues à l’addiction et indispensables pour un bon suivi de nos patient-e-s.

D’une part, par notre spécialisation en addictologie, nous connaissons les problèmes particuliers liés aux addictions et nous disposons des compétences spécifiques nécessaires pour savoir y répondre de manière adéquate et ainsi aider efficacement nos patient-e-s avec efficacité. Notre savoir et nos conseils sont également une ressource importante pour nos partenaires généralistes, ou spécialisé-e-s dans un autre domaine, quand ils-elles sont confronté-e-s aux problèmes addictologiques de leurs bénéficiaires.

D’autre part, l’intégration de la consultation sociale dans le système des soins répond à certaines difficultés particulières de nos patient-e-s et surtout au fait que les trois composantes « bio », « psycho » et « social » interagissent de manière complexe et forment un tout. En effet, c’est là que notre modèle « tout sous le même toit » montre sa force et sa pertinence : il permet d’offrir des soins médicaux, psychothérapeutiques et sociaux tout en tenant compte du besoin d’un traitement global. Réunissant les différents soins dans le même service et la même équipe, notre modèle profite des avantages d’un échange d’informations détaillées et régulières par le contact direct des professionnels sur place et par leur accès aux différents dossiers du-de la patient-e. Il permet un regard commun sur les problématiques, des objectifs de soins définis ensemble et une optimisation de la coordination à tous les niveaux. Une compréhension profonde de la situation médicale, psychologique et sociale du-de la patiente et la prise en compte de la personne dans sa globalité sont ainsi rendues possibles.

Dans un bon nombre de situations, le service social intégré est même une nécessité parfois vitale pour nos patient-e-s. Cela est d’habitude le cas lorsqu’ils-elles présentent des situations sociales tellement précaires avec une désintégration et une marginalisation si avancées qu’ils-elles n’arrivent même plus à répondre au minimum des exigences pour pouvoir « fonctionner » en société.

Souvent nos patient-e-s passent également par des périodes particulièrement difficiles : l’effort qu’ils-elles devraient fournir pour aller se soigner à plusieurs endroits, dépasse leurs forces et leurs capacités de gestion. Par contre, ils-elles arrivent encore à venir à notre consultation sociale faisant partie du système et se trouvant juste à côté des bureaux des soins médicaux et de la psychothérapie. Lorsque leur état est si grave que même le pas pour entrer dans notre consultation est de trop, nous avons la possibilité d’agir sur leur situation sociale, et ainsi l’améliorer, en passant par le-la référent-e des soins médicaux et/ou le-la psychologue.

Effectivement, dans le système ordinaire, nos patients passent facilement à travers les failles. Nous prenons alors le rôle d’une personne de confiance sur qui nos patients peuvent compter « quoi qu’il arrive ». Nous faisons l’interface avec les autres institutions et les partenaires du système et/ou nous endossons le rôle du- de la  représentant-e pour les aider à obtenir leurs droits et répondre à leurs devoirs.

Grâce à notre soutien professionnel et nos compétences spécifiques, à une étroite et précieuse collaboration avec nos collègues des soins médicaux et psychothérapeutiques et en évitant un suivi des problématiques médicales, psychologiques et sociales éparpillées dans plusieurs services et équipes,  nos patient-e-s réussissent à surmonter leurs difficultés sociales. Ils arrivent ainsi à entreprendre les démarches nécessaires pour accéder aux ressources essentielles permettant de reconstruire et maintenir leur santé somatique et psychique et leurs liens sociaux. Ainsi, des possibilités pour se (ré)intégrer au niveau socio-professionnel peuvent s’ouvrir et ils-elles retrouvent leur place et une participation dans la société. De ce fait, une consultation sociale intégrée aux centres de notre Fondation et gérée par des assistantes sociales professionnelles, soutenues par une équipe pluridisciplinaire compétente, est indispensable pour un traitement efficace et durable des problèmes d’addiction de nos patient-e-s.

Zone privée partenaires

Si vous avez perdu vos accès, merci de nous contacter.