Le trouble de la personnalité borderline touche entre 1 à 2 % de la population générale, et jusqu’à 15% de la population psychiatrique (Widiger & al., 1991)[1], ce qui en fait un trouble fréquent en psychiatrie. L’impact de ce trouble au niveau du fonctionnement social est sévère, marqué par un impact négatif dans le travail, les relations sociales et les activités de plaisir (Skodo & al., 2002)[2]. Ce trouble se caractérise par des symptômes hétérogènes qui touchent divers domaines : les émotions (instabilité affective, sentiment de vide, colère intense), la cognition (paranoïa transitoire, dissociation), l’impulsivité (suicidalité, comportements auto-dommageables et imprudents, notamment consommations de toxiques) et les relations interpersonnelles (relations intenses et instables, crainte d’être abandonné) (APA, 2013)[3]. Les recherches ont montré à plusieurs reprises que le TPB se manifeste conjointement avec d’autres troubles psychiatriques, et dans le cas qui nous intéresse, les troubles liés à l’usage de substances représentent une forme fréquente de comorbidité (Kolly et al., 2019)[4], avec des études qui montrent une prévalence allant de 23% à 84% des patients avec un TPB qui rencontrent les critères d’un abus ou d’une dépendance à une substance (Kolly et al., 2019).

Selon l’American Psychiatric Association (APA, 2013), la psychothérapie constitue le traitement de choix pour le TPB, plusieurs études ayant montré une efficacité limitée des traitements pharmacologiques (notamment Lieb & al., 2010)[5]. De plus, la Société Suisse de Psychiatrie et Psychothérapie (SSPP, Euler & al., 2017)[6] recommande de traiter le TPB de manière prioritaire, sauf en cas d’épisode maniaque, de toxicomanie aiguë ou d’une anorexie (BMI < 16), en prenant en compte, bien entendu, les comorbidités associées, comme une dépendance. Ceci nous amène à vouloir élaborer un traitement spécifique et centré sur le trouble de la personnalité, en prenant en compte l’abus ou la dépendance à la substance, problème qui constitue, au sein de la Fondation Phénix, la demande initiale lorsque nos patients arrivent pour la première fois en traitement. Ainsi, la dépendance s’inscrit en réalité dans le cadre d’un TPB et nécessite donc un traitement spécifique.

Les thérapies qui ont prouvé scientifiquement leur efficacité ont toutes en commun une structuration claire du traitement, des buts thérapeutiques convenus conjointement entre la-le patient-e et la-le thérapeute, une attitude fondamentale thérapeutique active, un encouragement de l’activité (quelle qu’elle soit) et de l’auto-efficacité du patient ainsi que des supervisions régulières du thérapeute. Nous nous intéressons tout particulièrement à la thérapie comportementale et dialectique (TCD) développée par Marsha Linehan (1993)[7] et issue des thérapies cognitives et comportementales. En effet, cette thérapie propose un cadre théorique clair sur le TPB et des outils thérapeutiques, notamment dans le développement de compétences de régulation des émotions, qui sont particulièrement utiles dans notre pratique. Notre idée, à développer, serait de proposer un suivi TCD à tout patient à qui on suspecte un diagnostic de TPB, en réfléchissant à comment coordonner un suivi psychothérapeutique individuel, un suivi infirmier individuel, un accompagnement social si besoin et la participation aux groupes de maîtrise des émotions proposés par Jean-Marie Rossier au Centre Phénix Grand-Pré.

La vignette clinique que nous vous illustrons ci-dessous montre comment un comportement auto-dommageable (une consommation de toxique), détaillé avec une analyse comportementale en chaîne, un outil de la TCD, permet une prise de conscience du fonctionnement problématique du patient au cours de l’entretien infirmier. Ceci est ensuite repris en psychothérapie et permet d’aborder les éléments de psychoéducation sur le trouble de la personnalité, puis de travailler sur la répétition de schémas dysfonctionnels, dont la prise de toxique. L’analyse comportementale en chaîne permet (cf. ci-dessous pour un exemple), dans un processus collaboratif patient-thérapeute, de détailler un comportement cible (ici une consommation) en terme de séquences d’évènements (émotions, environnement, contexte de vulnérabilité) et d’activer avec le patient ses compétences pour agir différemment.

Vignette clinique : Mr A, 50 ans.

2017 : Demande de prise en charge

  • Sortie centre résidentiel
  • Motifs de la demande :
    • Poursuite du traitement de substitution aux opiacés (TSO)
    • Maintien du projet d’abstinence aux opiacés
    • Suivi psychothérapeutique

2018 : Evaluation de la prise en charge

  • Deux consommations objectivées d’opiacés
  • Diminution progressive du dosage du TSO
  • Observance partielle puis absence aux RDV psychothérapeutiques

2020 : Rechute aux opiacés

  • Mr A reçoit un ultimatum de sa compagne
  • Mise en évidence de sa difficulté dans la gestion de son fonctionnement en lien avec la diminution de couverture opiacée sans soutien psychothérapeutique
  • Mr A demande un suivi rapide et efficace
  • Proposition d’un suivi intensif addictologique/psychothérapeutique infirmier/psychologue, basé sur le modèle et les outils proposés par la TCD

 

 

Avec la répétition de plusieurs analyses comportementales en chaîne, le patient prend petit-à-petit conscience des schémas répétitifs à l’origine de ses consommations et rentre alors dans un processus psychothérapeutique de changement à long terme.

Finalement, proposer et mettre en avant, auprès de nos partenaires, l’intérêt tout particulier qui est le nôtre de  prendre en charge des personnes qui souffrent à la fois d’un TPB et d’une addiction en leur proposant un suivi efficace, reconnu et centré sur leur problématique semble avoir tout son sens.

[1] Widiger, T.A., & Weissman, M.M. (1991). Epidemiology of borderline personality disorder. Hospitality Community Psychiatry, 42, 1015-1021.
[2] Skodol, A.E., Siever, J.L., Livesley, W.J., Gunderson, J.G., Pfohl, B., & Widiger, T.A. (2002). The borderline diagnosis II : biologiy, genetics, and clinical course. Biology Psychiatry, 51, 936-950.
[3] American Psychiatric Association. Diagnostic and statistical manual of mental disorders. 5th ed., 2013.
[4]  Kolly, S., Charbon, P., Kramer, U. (2019). Trouble de la eprsonnalité borderline. Pratiques thérapeutiques. Issy-les-Moulineaux : elsevier Masson S.A.S.
[5] Lieb, K., Völlm, B., Rächer, G., Timmer, A., & Stoffer, J.M. (2010). Pharmacotherapy for borderline personnality disorder: Cochrane systematic review of randomized trials. The British Journal of Psychiatry, 196, 4-12.
[6] https://www.psychiatrie.ch/fileadmin/SGPP/user_upload/Fachleute/Empfehlungen/SGPP_BE_BPS_version_francaise.pdf
[7] Linehan, M.M. (1993). Cognitive-behavioural treatment of borderline personnality disorder. New-York : Guilford Press.
Zone privée partenaires

Si vous avez perdu vos accès, merci de nous contacter.