Terminologie et Diagnostic

Un nombre significatif de parents et d’écoles contacte la Consultation Phénix pour Adolescents et Jeunes Adultes avec la préoccupation pour une possible addiction aux écrans, ou cyberaddiction, cyberdépendance, hyperconnectivité... Mais prudence avec la notion d’addiction, facilement stigmatisante et inquiétante et probablement utilisée un peu rapidement dans le langage courant, s’éloignant de sa définition médicale et des critères spécifiques nécessaires ! Rappelons que, depuis 2018, l’Organisation Mondiale de la Santé reconnait en effet deux addictions comportementales, soit le trouble du jeu vidéo et le trouble du jeu de hasard et d’argent, mais uniquement au-delà de 18 ans. Par ailleurs, il est intéressant de relever ce qui distingue clairement ces addictions-là d’autres que nous connaissons bien, soit l’absence de notion de sevrage et de rechute. L’usage excessif est en effet transitoire et dépendant du contexte, alors que dans l’addiction, les troubles sont souvent chroniques. Il est ainsi préférable de parler d’usage problématique ou excessif des écrans. Par ailleurs, les nuances apportées ici n’enlèvent rien à l’importance d’évaluer et de prendre en charge chaque situation de façon spécifique.

Comorbidités et symptomatologie

En miroir des diverses addictions qui sont le quotidien de La Fondation Phénix, l’usage excessif des écrans chez les adolescents s’installe et devient problématique, dans l’immense majorité des situations, dans un contexte où l’on identifie d’autres troubles psychologiques tels que dépression, anxiété, phobies scolaires, entrée dans une psychose etc. ou, plus simplement dit, mal-être psychologique ou difficultés émotionnelles. En soi, le seul critère du temps passé devant les écrans, question très souvent posée par l’entourage, n’est pas suffisant pour définir un usage problématique.

En revanche, il y a lieu de se préoccuper lorsque l’adolescent s’isole, rencontre des difficultés scolaires, les activités en ligne empiètent sur d’autres activités et deviennent le principal centre d’intérêt et de plaisir, les écrans deviennent une source de conflit récurrente et/ou entrainent des problèmes d’argent et lorsque le sommeil est altéré et le jeune fatigué.

Défis adolescents

Toute addiction ou usage excessif des écrans, d’un comportement ou d’une substance, intervient dans un contexte de vie et/ou développemental spécifique. Mais évaluer et suivre un adolescent, c’est garder en tête de manière particulièrement vive les enjeux développementaux de cette phase de vie. En effet, en lien direct avec la maturation physiologique majeure du corps et du cerveau durant cette période, ces enjeux s’expriment de manière parfois intense à travers ce que l’on nomme communément la crise d’adolescence. Il s’agit donc de faire la part des choses entre ce qui relève des manifestations plus ou moins bruyantes mais néanmoins inhérentes au processus adolescent et ce qui relève d’éléments plus préoccupants. Citons, avant de l’expliciter, ce qui se joue durant cette phase de de la vie, soit la nécessité d’assumer les transformations d’un corps pubère, la séparation avec les objets d’amour infantiles (les parents) et l’autonomisation/différenciation/individuation du jeune.

Les changements physiologiques dus à la puberté viennent profondément bouleverser l’adolescent. Ils entrainent la nécessité à la fois de remanier la représentation de soi mais également d’engager le processus de séparation avec les parents, séparation et distanciation à la fois sur le plan du lien mais également au niveau de la différenciation de l’identité. La fin des relations tendres et infantiles, soit de dépendance aux parents est indispensable, mais sans pour autant que l’adolescent ne soit déjà suffisamment outillé pour assumer pleinement son autonomie, ni sur le plan psycho-affectif, ni sur le plan de la maturation neurophysiologique. Alors face à l’exigence interne de devenir soi, d’assumer son corps pubère, de se différencier de ses parents en sortant du lien de dépendance insupportable, l’adolescent se trouve en pleine crise, au sens évolutif du terme. Chez la plupart des jeunes, ces remaniements se font avec un niveau d’anxiété tolérable. Mais parfois, le recours à l’usage excessif du numérique peut apporter un sentiment de maîtrise et d’apaisement là où l’adolescent se sent envahi par des émotions difficilement gérables.

Vision positive du numérique

Face à l’inquiétude des parents, il peut être intéressant, en sus de considérer et traiter la problématique sous-jacente à un usage excessif d’internet et des jeux vidéo, de les sensibiliser aux aspects positifs de ces activités moins évidents que d’autres (développer son imagination et ses capacités de résolution des problèmes et d’attention, s’informer, se divertir, étudier). Elargir nos visions d’adultes, issus d’un monde radicalement différent et qui n’est plus, peut nous donner quelques clés pour maintenir un lien et un dialogue essentiel avec les jeunes, en difficultés ou non. Discuter aussi des aspects positifs du numérique peut permettre de poser des bases plus favorables à un processus de changement lorsque l’on identifie effectivement une pratique excessive.

Ainsi, précisons par exemple l’intérêt des médias sociaux dans le contexte du défi adolescent lié à la construction de l’identité (devenir soi). Définir son individualité passe notamment par l’ajustement de l’image de soi, profondément bouleversée par les changements liés à la puberté. Mais encore, les questions de l’identité de genre et de la sexualité sont aussi à élaborer, en parallèle à la notion plus large d’intimité qui recouvre, elle, le partage ou non des certaines émotions, pensées et faits. Choisir ce que je raconte et à qui versus ce que je garde pour moi et qui relève strictement de ma sphère intime. Ces divers remaniements s’élaborent dans un va et vient entre soi et les autres, s’appuyant sur le besoin de sociabilité et de reconnaissance des pairs. Dans cette dynamique évolutive nécessaire, les médias sociaux peuvent apporter des aspects tout-à-fait favorables. Ils sont un outil de mise en forme de l’image de soi, de négociation identitaire à travers ce qui est décidé de poster sur le compte Instagram par exemple. Quelle image de soi est affichée, revue, modifiée ? Qu’est ce qui est publié et révélé de soi ? Qu’est-ce qui est gardé intime ? Outil d’expression des pensées et opinions qui participe à s’autodéfinir, valorisation de soi à travers le support des pairs et des « amis » sur la toile qui s’exprime par les « like » et le nombre de followers, sont des aspects essentiels au développement du soi.

En conclusion

Dans le cas plus particulier de l’adolescence, les interfaces numériques peuvent faire figure d’un lieu d’apprentissage, d’évolution et de socialisation répondant aux besoins spécifiques de cette période et participant au processus développemental en cours. Ont été esquissées quelques lignes sur le recours aux écrans en tant que participation à ce processus avec focus sur le plan identitaire. D’autres réflexions pourraient être faites sur la fonction du recours au numérique au sein du processus de séparation avec les objets d’amour infantiles et feront peut-être l’objet d’un article ultérieur. Malgré les bénéfices que l’on peut considérer, lorsqu’une personne traverse des difficultés émotionnelles, l’usage du numérique peut devenir une échappatoire à la confrontation à ces problèmes et la pratique s’avérer excessive. Rappelons que ce comportement qui alors inquiète est le plus souvent transitoire et l’expression des difficultés qui, elles, demandent à être identifiées et traitées. Ce sont ces situations qui arrivent à la Consultation Adolescents et Jeunes adultes de la Fondation Phénix.

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